Programme de Recherche du GDR SUSY



ANNEE 1997

CNRS

PROGRAMME DE RECHERCHE
PROPOSÉ POUR LA DURÉE
DU GROUPEMENT

La supersymétrie, symétrie d'un type nouveau entre bosons et fermions a été proposée au début des années 1970, donnant l'espoir d'établir un lien entre les interactions fondamentales (dues à l'échange de bosons, tel le photon) et la matière (formée de fermions). Certaines de ses propriétés --que ce soit le contrôle partiel des corrections quantiques ou le lien avec la gravité-- ont suffisamment intéressé les théoriciens pour qu'un vaste programme d'étude soit entrepris dans les années 1970. D'un point de vue plus proche des expériences, il a été remarqué que le domaine d'énergie accessible aux accélérateurs actuels et en projet pourrait être approximativement supersymétrique. En particulier à la suite des travaux de P. Fayet est né le modèle standard supersymétrique dit minimal dans lequel toutes les particules du Modèle Standard ont des partenaires supersymétriques (bosoniques pour les quarks et les leptons: on parle alors de squarks et de sleptons; fermioniques pour le Higgs et les champs de jauge: on parle alors de Higgsinos et de jauginos). Il a été immédiatement observé que ces particules ne pouvaient être dégénérées en masse avec celles du Modèle Standard, un signe que la supersymétrie est brisée dans la Nature. Ce sont ces particules que l'on cherche activement depuis les années 1980 aux accélérateurs les plus puissants disponibles (SS, TeVatron, LEP et HERA), pour l'instant sans succès.

Parallèlement à ces recherches expérimentales, la conviction que la supersymétrie joue un rôle dans la théorie des interactions fondamentales s'est affermie. En particulier, le succès des théories de grande unification qui unifient interactions faible, forte et électromagnétique ne se comprend vraiment que dans un cadre supersymétrique; si l'on se restreint au seul Modèle Standard les corrections quantiques ne sont pas assez bien contrôlées et déstabilisent l'échelle d'unification électrofaible --mesurée par la masse du boson intermédiaire W ( GeV)-- vers l'échelle de grande unification (de l'ordre de GeV): c'est ce qu'on appelle le problème de hiérarchie d'échelles.

Les années 1990 ont vu la confirmation éclatante du Modèle Standard des interactions fondamentales, en particulier avec les tests de précision menés au collisionneur LEP du CERN où des précisions de quelques pour mille ont été atteintes dans le domaine électrofaible. D'une façon qui pourrait sembler paradoxale au premier abord, ceci a donné un statut privilégié pour la supersymétrie en infirmant les autres théories qui avaient pu être proposées comme généralisations du Modèle Standard, telle la théorie dite de technicouleur. A l'inverse, en particulier grâce au meilleur contrôle des corrections quantiques, une théorie supersymétrique peut ressembler à s'y méprendre au Modèle Standard si l'échelle de brisure de la supersymétrie est de l'ordre du TeV (ce qui veut dire des masses des partenaires supersymétriques de l'ordre de 100 GeV à quelques TeV selon leur nature). C'est précisément ce domaine d'énergie qui s'ouvre à l'heure actuelle à l'exploration expérimentale.

Les expérimentateurs français ont joué un rôle important dans la recherche de particules supersymétriques, en particulier au sein des collaborations internationales (ALEPH, DELPHI, L3 et OPAL) qui travaillent au LEP. Ce travail nécessite un contact étroit avec les théoriciens. D'une part, il est important de savoir quels types de particules sont prédites par les modèles et quels sont leurs couplages aux particules usuelles, quarks et leptons par exemple. A ce propos on peut noter que le modèle dit supersymétrique minimal (parfois noté MSSM) que l'on a évoqué plus haut n'est qu'un candidat possible et qu'il existe de nombreuses généralisations de ce modèle avec un spectre plus riche en particules et des contraintes différentes sur les couplages. D'autre part, les recherches jusqu'ici infructueuses de particules supersymétriques induisent des contraintes sur les paramètres des modèles, contraintes en perpétuelle évolution au fur et à mesure qu'on monte en énergie (en particulier au LEP ces dernières années).

L'un des attraits des modèles supersymétriques pour l'astrophysique est qu'ils fournissent de façon générique un candidat naturel pour la matière noire: il s'agit de la particule supersymétrique la plus légère (appelée LSP) qui est stable dans les cas où une symétrie, appelée R-parité, assure que les particules supersymétriques sont produites ou annihilées par paires. Les couplages de cette LSP dépendent évidemment des paramètres du modèle. Il est donc important pour les équipes qui recherchent ce type de matière noire de prendre en compte les limites les plus récentes apportées par la physique auprès des accélérateurs. A l'inverse, cette recherche de matière noire supersymétrique apporte son propre lot de contraintes sur les paramètres, tout à fait complémentaire des précédentes. La section suivante décrit certains aspects des recherches de matière noire supersymétrique.

En résumé, même s'il faut souligner qu'à l'heure actuelle la supersymétrie n'a reçu aucune confirmation expérimentale, elle reste pour la physique des interactions fondamentales l'option la plus probable. Cette opinion partagée par une bonne partie de la communauté repose principalement sur les constatations suivantes:

La matière noire supersymétrique. Une grande partie de la masse de l'univers est invisible. Cette masse dite cachée est une des énigmes que l'astrophysique essaie de résoudre depuis un demi-siècle. Bien que mise en évidence par ses effets gravitationnels -- courbes particulièrement plates de rotation galactique, vitesse de dispersion des galaxies au sein des amas galactiques -- la nature de cette matière invisible est encore inconnue et plusieurs hypothèses sont possibles. Elle pourrait être constituée d'étoiles avortées de type Jupiter, trop légères pour amorcer la combustion de leur hydrogène central. Une autre possibilité réside dans l'existence de nuages de gaz moléculaire trop froid pour émettre en ondes radio. Finalement, des particules neutres, massives et interagissant suffisamment faiblement pour être invisibles électromagnétiquement ont également été suggérées. Ces particules, à l'instar des neutralinos prédits par la supersymétrie, pourraient ainsi former une grande partie du halo de notre galaxie et être un des constituants majeurs de l'univers. Puisque ces neutralinos ont peu d'interactions avec la matière ordinaire (ils subissent toutefois la gravité), il ne serait pas étonnant qu'ils aient échappé pour l'instant aux détecteurs des expériences installées sur les anneaux de collisions.

L'activité scientifique concernant la recherche de matière noire supersymétri- que peut se décomposer en quatre parties.

1) Les neutralinos existent de manière endémique au moment du big bang. Aux tous premiers instants de la vie de l'univers, la température et la densité sont extrêmement élevées. Les espèces synthétisées à grand peine dans les accélérateurs actuels existent alors à l'état libre. Elles s'annihilent sans cesse mais sont recréées à partir du plasma primordial. Lorsque l'univers se dilate, la température ambiante chute et les particules lourdes comme les neutralinos s'annihilent sans pouvoir être recréées thermiquement. Il en résulte une diminution brutale de leur abondance. A un certain point, la densité des neutralinos devient tellement basse que ces derniers cessent de s'annihiler entre eux et leur abondance cosmologique reste alors constante. Si ces particules sont stables, elles flottent encore dans le milieu intergalactique. Il est donc possible de calculer l'abondance actuelle des neutralinos stables dès lors que leurs interactions sont spécifiées. En contrepartie, nous savons que l'abondance cosmologique des neutralinos stables ne peut excéder une densité critique au delà de laquelle l'univers devient sphérique et fermé. Des observations astronomiques sur l'âge de l'univers et sur la constante d'expansion de Hubble indiquent en effet que la densité actuelle moyenne de l'univers ne peut être aussi élevée.

2) Il est important de calculer les sections efficaces d'annihilation des neutralinos entre eux. Ces dernières sont également reliées aux sections efficaces d'interaction des neutralinos avec la matière ordinaire. La participation des physiciens des particules expérimentateurs et théoriciens sera particulièrement importante.

3) Il est possible de détecter directement les particules de matière noire susceptibles de composer le halo de notre galaxie. Ces particules peuvent en effet interagir avec les noyaux du matériau constituant les appareillages envisagés pour cette mise en évidence. Au cours de collisions élastiques, le neutralino, dont la vitesse est d'environ 300 km/s, transmet au noyau une quantité d'énergie de l'ordre de quelques keV. Cette dernière est détectable dans un bolomètre refroidi à de très basses températures (de l'ordre de 10 à 100 milliKelvins). La température du bolomètre augmente alors brièvement. Le problème principal est le bruit de fond qui doit être réduit au minimum. Le détecteur et son environnement doivent être en matériau le moins radioactif possible. Il convient également de s'enterrer dans des tunnels afin de se préserver des rayons cosmiques. Pour rejeter le bruit de fond avec plus d'efficacité, il est possible d'associer la méthode bolométrique à une détection de la luminescence ou de l'ionisation associée au noyau de recul. Les limites actuelles permettent d'atteindre des sections efficaces neutralino-proton très faibles, de l'ordre du picobarn pour des interactions dépendantes du spin, et de l'ordre de picobarn pour des interactions cohérentes. La gamme de masse explorée va de quelques GeV à quelques TeV. Les expériences sont, en section efficace de collision et donc en taux d'événements, à un ordre de grandeur au-dessus de la région où la supersymétrie peut véritablement commencer à être testée.

4) Les neutralinos peuvent s'accumuler au coeur du soleil ainsi qu'au centre de la terre. Il est alors possible de les voir indirectement grâce aux produits d'annihilation qu'ils produisent. Lorsque deux neutralinos s'annihilent, ils produisent entre autres des neutrinos qui s'échappent sans difficulté du soleil et de la terre. La recherche de la matière noire supersymétrique est ainsi reliée à la détection astronomique des neutrinos produits dans les étoiles. Les prochaines expériences de détection de neutrinos de haute énergie (du GeV au TeV) sont donc très importantes, notamment celles qui cherchent le rayonnement Cerenkov des muons de conversion au sein des océans (du type ANTARES). Une autre signature indirecte de la présence des neutralinos dans le halo de notre galaxie est liée à l'annihilation de ces particules conduisant notamment, parmi les produits de réaction, à des rayons gamma d'énergie comprise entre 1 GeV et quelques TeV. Une raie gamma monochromatique correspondant à l'annihilation directe de deux neutralinos en deux photons, , peut même se superposer à un spectre continu provenant de la production d'une paire quark-antiquark dans l'état final, , de son hadronisation subséquente et de la désintégration radiative des formés au sein des jets hadroniques. La relation avec l'observation des rayons de haute énergie est évidente et des projets tels que CELESTE devraient fournir de précieuses indications, en particulier en direction du centre de la galaxie.

Buts du GDR supersymétrie. Comme il a été souligné plus haut, la recherche de la supersymétrie nécessite une interaction continue entre théoriciens et expérimentateurs. Il est reconnu qu'en France, ces contacts ne sont pas toujours aussi étroits qu'il serait souhaitable, même si des progrès ont été faits dans ce domaine ces dernières années. Le but principal du GDR est de développer une habitude de travail en commun, en particulier à l'intention des plus jeunes, qu'ils soient jeunes chercheurs ou doctorants. La supersymétrie, qui va être un des axes privilégiés de la recherche expérimentale en physique des particules pour la période considérée, et en fait pour la prochaine décennie, apparaît comme un terrain privilégié pour développer une telle tradition.

La même chose peut être dite pour les relations entre physiciens des particules et astrophysiciens car les recherches de particules supersymétriques dans les accélérateurs et celles de matière noire supersymétrique sont tout à fait complémentaires. Un des rôles que le GDR souhaite jouer est de rapprocher les deux communautés pour partager les informations recueillies au fur et à mesure de l'avancement des recherches (en particulier les contraintes sur les paramètres des modèles supersymétriques) et développer si possible une culture commune et des outils communs.

Enfin, la période 1997-2000 (et même 1997-2004 si le GDR était renouvelé) est une période charnière pour la physique des hautes énergies puisqu'elle verra entre autres la montée en énergie du LEP200 et la préparation des expériences au LHC. Pendant ces 4 années, un grand nombre de physiciens du LEP basculeront dans les collaborations LHC. Permettre à ces deux communautés d'envisager ensemble un sujet d'intérêt commun, la supersymétrie, ne peut que faciliter cette réorientation. Le GDR pourrait aussi rendre plus attractives des thèses expérimentales sur la physique au LHC qui souffriront d'une absence de données pendant la période considérée. Il faut noter enfin que, si une grande part des travaux du GDR traitera de la physique au LEP et au LHC, d'autres acélérateurs peuvent jouer un rôle important, en particulier HERA à Hambourg et le TeVatron au laboratoire Fermilab (Etats-Unis). Il importera en particulier dans ce dernier cas de garder un oeil attentif sur les développements des recherches supersymétriques à CDF et D0 (les deux expériences de Fermilab), au besoin en invitant des experts extérieurs.

Fonctionnement. En fonction de ce qui vient d'être dit plus haut, il est apparu souhaitable que le fonctionnement du GDR se fasse principalement au sein de groupes de travail qui puissent rassembler les diverses communautés autour d'un sujet d'intérêt commun. Le GDR s'organiserait donc autour de réunions plénières (deux à trois par an) qui permettraient de faire le point sur ce qui a déjà été accompli et d'orienter les axes autour desquels s'organiserait le travail futur. L'essentiel du travail se ferait le reste de l'année au sein des groupes de travail, animés chacun par un expérimentateur et un théoricien (voir plus bas la section ``Thèmes ou opérations'').

L'activité de ces groupes de travail doit bien sûr se faire en harmonie avec celle des groupes de travail ou ateliers existants, en particulier ceux du CERN. Mais le GDR a la spécificité de rassembler plusieurs communautés, ce qui n'est généralement pas le cas des groupes du CERN.

Le but du GDR est de faire travailler ensemble les physiciens français. Un recours systématique à des experts étrangers serait donc contraire à son esprit. Mais il n'est évidemment pas question de se refermer sur soi-même et la participation des visiteurs étrangers en séjour dans les laboratoires français ou de physiciens étrangers ayant des contacts étroits avec la France est encouragée.

Les grandes orientations scientifiques du GDR seront définies par un Conseil de groupement formé d'une dizaine de physiciens choisis dans la communauté française pour le rôle qu'ils ont joué dans ce type de physique. Ce conseil est en cours de formation.

Les contacts avec les laboratoires sont assurés par les responsables d'équipe qui sont chargés de répercuter les informations au niveau des laboratoires et d'animer les équipes. En sens inverse, ils répercutent au niveau du GDR les attentes et les questions des laboratoires. La liste des équipes et de leurs responsables, ainsi qu'une description de leurs activités présentes dans le domaine de la supersymétrie figure dans la fiche C ``Composition du Groupement de recherche''. On compte au total plus d'une centaine de physiciens qui ont exprimé le désir de prendre un rôle actif dans le GDR, au moins pendant une partie de la période de 4 ans.

Le budget du GDR est uniquement réservé aux frais de mission nécessaires à la participation aux réunions plénières ou aux groupes de travail. Les frais de calcul relatifs aux travaux du GDR sont pris en charge par les laboratoires participants, en fonction de leurs moyens. Le secrétariat est assuré par le LPTHE d'Orsay.

Pour permettre à l'information de circuler, il est envisagé de créer un serveur ``GDR Supersymétrie'' sur le WEB. Certains outils scientifiques d'intérêt commun seraient aussi mis à la disposition des utilisateurs. Il est aussi envisagé de publier les résultats des travaux sous forme de notes internes GDR, disponibles sur le serveur et sur les banques de preprints. Cette formule présente une plus grande souplesse que celle des publications dans des revues scientifiques mais ne préjuge en rien de l'envoi effectif à une revue.

Thèmes ou opérations. Comme il a été indiqué plus haut, le travail du GDR entend s'organiser principalement autour de groupes de travail, dont le sujet est assez général pour pouvoir rassembler les différentes communautés (physique des particules, astrophysique et théoriciens). Il va sans dire que des sous-structures peuvent se créer autour d'un sujet d'intérêt particulier.

Les groupes de travail seront animés par un tandem d'un expérimentateur et d'un théoricien. Il a semblé souhaitable que ces organisateurs soient choisis parmi des physiciens actifs suffisamment jeunes pour ne pas être déjà débordés par d'autres tâches et suffisamment expérimentés pour avoir une bonne connaissance du milieu et jouer pleinement leur rôle d'animation.

C'est au Conseil de groupement que reviendrait la tâche de nommer ces organisateurs ainsi que de définir plus précisément le contenu scientifique de chaque thème, et si besoin est, susciter de nouveaux groupes de travail. Les thèmes retenus pour le moment sont:




Patrice Lebrun